© PHOTO FABIEN COTTEREAU
Le Street Art, littéralement « art de rue », s’expose en ce moment à l’Institut Culturel Bernard Magrez . Cet art sauvage destiné à l’espace public se retrouve proprement encadré sur les murs d’une institution : analyse d’un paradoxe.
Le Street Art, mouvement emblématique du début du XXI ème siècle (né dans les rues de N-Y dans les 70’s), s’approprie les villes des quatre coins du globe pour faire de l’espace public le plus grand musée du monde… dans la plus grande illégalité. En effet, les Street Artists réalisent leurs œuvres spontanément, sans posséder quelque approbation officielle que ce soit : ils créent le plus souvent la nuit, dans la clandestinité, risquant d’être arrêtés par la police à chaque instant.
Le Street Art habille de couleur le béton grisâtre des villes, apporte de la beauté à des paysages urbains souvent moroses. La rue devient le support d’œuvres usant de techniques d’une extrême diversité (peinture à la bombe, pochoir, affichage, collage, mosaïque, moulage…), allant du gigantesque (cf : les fresques de Blu) au minuscule (cf : les figurines mises en scènes de Shinkachu). L’espace public se transforme en immense terrain de jeu : les murs deviennent toiles et le mobilier urbain est détourné dans des mises en scènes humoristiques.
Les œuvres de Street Art -à la différence des œuvres exposées dans les musées qui sont préservées avec soin- sont éphémères : elles disparaissent avec le temps ou sont recouvertes par d’autres œuvres si elles ne sont pas effacées par les autorités. Ce mouvement se caractérise ainsi par un constant renouveau.
Les œuvres de Street Art sont très souvent porteuses de messages politiques : nombre d’entre elles critiquent à travers la caricature la société dans laquelle nous vivons. Le Street Art met les passants en posture de spectateur, les confronte à l’Art dans un espace qui n’est pas destiné à accueillir des œuvres. Les travaux des Street Artists sont ainsi appréhendés par un public d’une extrême diversité, contrairement aux œuvres exposées entre les quatre murs d’une institution, destinées à n’être vues que par une élite. Cet Art populaire vise à interpeller les passants dans leurs trajet quotidien, à saisir leur attention et les faire réfléchir, se poser des questions. Le Street Art provoque le dialogue là où il s’implante.
Mais voilà que cet art non reconnu est en train de gagner en respectabilité au point de fortement intéresser les institutions et les collectionneurs. Les « plus grands » du Street Art se retrouvent ainsi exposés dans les espaces clos des galeries, faisant perdre tout sens aux particularités du mouvement. En effet, les artistes qui cherchaient jusque là la plus grande liberté de création en ne dépendant de personne (pas de commande, pas de producteur, ni de validation officielle) se mettent à adopter les codes du milieu de l’art contemporain . Les œuvres ne modifient plus l’espace mais s’adaptent à lui, doivent se restreindre en taille quand la rue n’avait pas de limite. Les peintures et dessins qui investissaient de manière brouillonne les murs de la ville s’ordonnent proprement sur les cimaises des galeries. Cet art rebelle devient sage, obéissant.
Pour toutes ces raisons il me semble totalement absurde de continuer à nommer « Street Art » les œuvres exposées dans des institutions . Cet art devrait selon moi rester dans les rues mais s’il souhaite vraiment s’en extraire… alors qu’il change de nom !
« Expressions Urbaines – Street Art, graffiti & Lowbrow » à l’Institut Culturel Bernard Magrez jusqu’au 1er février 2015(tarif étudiant : 5 euros)