Blanche Neige de Nicolas Liautard : un spectacle qui laisse sans voix

Du 16 au 19 décembre 2014, le TnBA proposait une surprenante adaptation de Blanche Neige : une succession de tableaux vivants muets, d’une grande beauté. Nicolas Liautard, metteur en scène, a su porter un regard neuf sur ce conte dont nous croyions n’avoir plus rien à apprendre . 

Image article Julie Mitchell pôle culture

copyright de la photo : La Nouvelle Compagnie

En mettant en scène Blanche Neige sans texte, Nicolas Liautard joue sur la familiarité de tous avec ce conte et ses représentations (la marâtre, la pomme, les sept nains, le cercueil en verre, le prince charmant à cheval…) : «  Si nous racontons tout, le spectateur est passif. Ici, le spectateur participe au spectacle : son imaginaire complète ce qui manque ».  Son spectacle muet dépasse les barrières que peuvent causer le langage : « Nous voyons tous la même chose, que l’on maîtrise la langue ou pas, que l’on parle français ou pas ». Pour combler l’absence de paroles, Nicolas Liautard a accompagné sa mise en scène d’une bande sonore composée de chansons et de bruitages.

Nicolas Liautard parvient, au travers d’une expérience visuelle unique, à nous faire voyager dans l’univers des contes le temps d’un spectacle. La maison des sept nains est suggérée avec humour, composée de quelques meubles de poupée empruntés à une chambre d’enfant. Un immense voile blanc couvre le devant de la scène : ce tissu installe une atmosphère onirique par des effets de transparence et sert de support aux vidéos projetées durant le spectacle -en complément des décors et du jeu des acteurs sur scène-.

Une lumière brumeuse enveloppe les personnages et estompe leurs contours.  Des jeux d’éclairage font par moment basculer la pièce dans un théâtre d’ombres chinoises. Des animaux vivants -des colombes, une chouette et même un cheval blanc- animent  le décor tout en brouillant la frontière entre réel et imaginaire.

Le temps s’écoule lentement, les gestes des personnages s’effectuent au ralenti, avec grâce. La mise en scène est « chorégraphique, presque cinématographique » . Nicolas Liautard cherche à plonger le spectateur « dans un état de contemplation ». « La contemplation ne va pas avec la vitesse », déclare-t-il, « si l’on veut comprendre un tableau il faut le regarder longtemps ».

Blanche Neige, face au miroir, se déshabille devant sa belle-mère, enlève sa robe blanche pour enfiler une mini-jupe à strass et un petit haut moulant. Elle quitte son corps d’enfant pour adopter celui d’une jeune femme séduisante. La jeunesse et la beauté de Blanche Neige provoquent instantanément chez sa belle-mère une jalousie démesurée. Cet épisode révèle l’actualité de la thématique de Blanche Neige, notre société étant « obsédée par le fait de rester jeune ». L’envie de se confronter à ce conte est d’ailleurs venue à Nicolas Liautard « en regardant un reportage à la télévision sur un phénomène assez nouveau : une mère de 40 ans et sa fille de 16 ans faisaient du shopping ensemble et achetaient les mêmes vêtements. Et, au moment des essayages, lorsqu’elles se regardaient dans la glace, la mère s’est rendu compte qu’elle n’avait plus le même corps que sa fille… ». Comme dans Blanche Neige, le miroir est l’élément perturbateur qui donnera naissance à « une concurrence féminine ».

Le costume moderne de Blanche Neige contraste avec le costume médiéval de ses parents révélant d’autant plus la « confrontation entre une génération et une autre ». Cet anachronisme permet aussi au spectateur de « s’identifier plus facilement » au personnage éponyme.

Le conte de Blanche Neige est cruel, la mort omniprésente. L’épisode où la marâtre mange le coeur présumé de sa belle-fille est terrifiant. L’histoire peut sembler inadaptée pour un enfant, et pourtant, elle leur est destinée. « Être confronté à des sentiments marquants comme la peur fait partie de la construction d’un enfant » explique Nicolas Liautard, « les contes, racontés par des gens aimants dans des contextes rassurants, permettent à l’enfant de surmonter l’obstacle et de construire une réflexion sur le monde ».

Le conte nous montre qu’il faut « dépasser les apparences », car « la sécurité ne vient pas forcément de l’endroit policé et le danger de l’endroit sauvage» : en effet, Blanche Neige, devenue cible de sa belle-mère, est menacée dans sa propre maison et c’est finalement dans la forêt qu’elle sera protégée, et trouvera un refuge.

« L’histoire de Blanche Neige, résultant d’une tradition orale, a une infinité de versions différentes » avance le metteur en scène. « Nous avons de ce fait décidé de proposer notre version du conte » : ainsi, Blanche Neige reprend le dessus à la fin de la représentation en tuant sa belle-mère à coups d’épée, devenant alors « la nouvelle reine ».

Nicolas Liautard nous a offert, avec une grande justesse, l’adaptation d’un conte qui ne vieillit pas.

Les propos de N. Liautard ont été recueillis au Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine lors d’une interview le 18/12/14

A visionner : une captation de la pièce sur arte.fr

Le TnBA -Théâtre chaleureux et coloré-  propose une programmation de qualité (théâtre, danse, cirque, concerts…) à des prix très abordables : les spectacles sont de 8 à 12 euros pour les étudiants !