GEORGES ROUSSE , LA MAGIE DE L’ANAMORPHOSE

« J’occupe l’espace vide avec des formes sans fonction, sauf à  provoquer le rêve… »

                                       Photographie de Georges Rousse, Installation à la Base Sous-Marine

Photographie de Georges Rousse, Installation à la Base Sous-Marine

 

C’est dans la Base Sous-Marine, immense bunker froid et impressionnant situé dans une zone portuaire sans définition propre -un entre-deux de constructions et de démolitions parsemé de grues et d’échafaudages- que se déroule en ce moment l’exposition « ESPACE(S) : METAMORPHOSES POETIQUES ». Ce centre d’exposition aux allures de bâtiment désaffecté semblait tout destiné à accueillir le travail du photographe plasticien français Georges Rousse, celui-ci privilégiant comme espaces de création « des lieux très particuliers, très photographiques et une architecture qui sort du quotidien ».

Une passerelle installée au dessus de bassins d’eau nous fait pénétrer à l’intérieur de ce bâtiment démesuré, sombre, où le vol de pigeons perturbe ponctuellement le calme qui le caractérise. C’est à ce moment-là que l’on découvre, de loin, l’une des trois œuvres que l’artiste a réalisée in situ. Un carré, un cercle et un triangle noirs habillent les murs gris délavés du « hall » de la Base, d’une manière assez particulière. En effet, le carré et le triangle, peints à cheval sur deux murs, sont anamorphosés : un point de vue unique imposé par l’artiste (un petit triangle blanc marqué au sol) nous donne l’illusion d’avoir devant les yeux des figures planes, comme en lévitation. Georges Rousse, au travers de cette première œuvre, « pose les bases de [son] vocabulaire et de [son] processus de création pour donner aux visiteurs les caractéristiques de [sa] démarche ».

La pratique de G.R se situe au croisement de la peinture, de l’architecture, de la sculpture et de la photographie. Après s’être approprié un lieu et avoir choisi une partie de l’espace comme support de création, celui-ci réalise des dessins à l’aquarelle -intégrés à l’exposition- qui lui permettent de visualiser la figure qu’il dessinera dans l’espace. Puis, G.R se place au point de vue qu’il a déterminé et guide ses assistants, qui, à l’aide de craies, placent des repères dans la profondeur du lieu, sur les divers murs, le sol, le plafond qui le constituent. Ce travail est minutieux et complexe, car il faut veiller à ce que ces tracés éclatés dans l’espace forment une figure unifiée depuis le placement de l’artiste. G.R est parfois amené à modeler l’espace dont il prend possession : il lui arrive d’ajouter des structures en bois à l’architecture d’une pièce ou de découper et casser des murs pour agrandir un lieu ou révéler les entrailles d’un bâtiment. Le photographe entretient ainsi « une relation physique, directe à l’espace » qu’il investit.

Après avoir peint son anamorphose, « spatialisé sa peinture », G.R attend la meilleure lumière naturelle possible pour immortaliser son œuvre éphémère au travers d’une photographie, qui sera pour lui la finalité de tout ce processus de création. L’objectif « grand angulaire » qu’il utilise «ne mime pas la vision humaine »  mais « amplifie et déforme la perspective » ce qui accentue fortement l’illusion de flottement des figures dans l’espace, et donne l’impression de se trouver face à un truquage informatique, comme si ces formes avaient été ajoutées à posteriori par dessus le cliché. « La photographie est plus intéressante que la réalité » déclare l’artiste à ce sujet.

Et ce ne sont pas moins de soixante clichés en grand format qui sont exposés à la Base Sous-Marine, donnant à voir l’étendue et la richesse du travail de G.R.

La quasi obscurité dans laquelle est plongée l’exposition crée instantanément une relation intime entre le spectateur et le travail du photographe : nous investissons l’univers de Georges Rousse, un univers intriguant, qui questionne, empreint de magie.